LA TRUFFE

En ces temps de festivités où nous ferons bombance et célèbrerons à grand renfort de banquets nativité et nouvel an, l’occasion était trop bonne de mettre à l’honneur le Tuber Melanosporum. Ce champignon d’exception, souterrain et mystérieux, qui, dans une association symbiotique avec l’arbre auprès duquel il prolifère – nommée mycorhize, échange sels minéraux contre sucres, nous offre à maturité en fin d’année cet or noir savoureux et parfumé qui sublime nombre de mets.

Par José Ruiz

LA FÊTE DE LA TRUFFE À SARLAT

Tel le roi Midas qui transformait en or tout ce qu’il touchait, la truffe noire a la faculté de sublimer les plats qu’elle accompagne. Véritable condiment miracle célébré en France depuis François 1er, la tuber melanosporum prend ses quartiers d’hiver en Périgord. La truffe de Bourgogne, elle, bien moins parfumée, arrive en automne, de même que la truffe blanche (truffe d’Alba), plus savoureuse, et que l’on ramasse jusqu’en décembre. Enfin, la truffe d’été apparaît autour de la Saint-Jean mais n’a pratiquement aucun goût. Reste la truffe chinoise, qui fait illusion pour remplacer parfois la truffe noire par son aspect. Mais inodore et insipide, la plaisanterie s’arrête là. Foin de chauvinisme régional, c’est bien la truffe noire du Périgord qui séduit le plus. Chaque mois de janvier, Sarlat lui fait fête. Et cette Fête de la truffe aligne ateliers de cuisine, de dégustation, de cavage (la recherche de la truffe avec un chien), le prestigieux concours Jean Rougié qui révèle chaque année les nouveaux talents de la cuisine, et enfin le marché aux truffes, l’un des 12 marchés contrôlés du Périgord. Sur ces marchés, les truffes sont canifées, autrement dit on enlève une petite lamelle en surface pour en vérifier la texture, la couleur et le degré de mûrissement. Ces contrôles sont effectués sur les marchés par des trufficulteurs et par la chambre d’Agriculture. Les truffes seront alors classées en 3 catégories en fonction de leur qualité, avec la catégorie «Extra» qui réunit les meilleures truffes, celles sans défaut, les plus parfumées, puis les catégories 1 et 2. En 2023, le prix moyen sur le marché de Sarlat était de 1000 € le kg. Mais quand on sait que 30 g permettent de bien se régaler… Et puis depuis 2010, le trophée Jean Rougié distingue les nouveaux talents de la cuisine, par un concours dont le jury est présidé cette année par le chef triplement étoilé Alexandre Couillon, avec le Canada comme invité d’honneur représenté par le chef Keith Pears.

ACCORDS METS VINS

La sommelière Laurene Amiet (l’Appétit du vin) nous propose des accords originaux. Avec le classique truffes & œufs brouillés, on choisira le Santenay de Ludovic Bonnardot en Bourgogne cuvée « Saint Jean » 2020″, un vin blanc puissant par la chaleur du millésime et un bel élevage. La truffe noire du Périgord se mariera parfaitement avec un Lutum 2021, un vin rouge 100% merlot de Fontaines des grives, élevé en amphore, vin profond, doté d’une belle acidité qui lui permet de se fondre dans les plats complexes.

ODE À LA TRUFFE

C’est en trufficotant que l’on devient trufficulteur. Tel fut le sort de Serge Desazars, l’auteur de cette « Ode à la truffe », qui, à force de temps passé au milieu des truffières de Touraine, abandonna son activité dans le monde du luxe pour cultiver le célèbre champignon, et lui dédier cette ode amoureuse. Préfacé par Yannick Alléno, le livre raconte une histoire de plus de deux millénaires. 26 recettes inédites et de remarquables photos signées Chanel Koehl accompagnent les textes pleins de poésie de Pierre Cléry.

Ode à la truffe
Serge Desazars de Montgailhard
Éditions Sutton, 2017

GUILLAUME GÉ,
LE TRUFFICULTEUR D’AQUITAINE

En Gironde, les sols argilo-calcaires de Saint-Émilion sont les plus propices à la culture de la truffe, mais pas les prix du foncier local. Donc, lorsqu’il s’avisa de quitter le monde de la finance pour devenir trufficulteur, Guillaume Gé s’en alla planter ses chênes truffiers en Dordogne. À la tête aujourd’hui de 35 ha dédiés à cette culture, Guillame Gé a appris assez vite les techniques de production. Mais côté vente, ça coince. Le négoce de la truffe est totalement désorganisé. Alors il sera aussi négociant, car les producteurs savent faire, mais ne savent pas vendre. Dès 2014, il va constituer un réseau de trufficulteurs qu’il va conseiller dans leur travail, avec une approche agricole, pour ensuite vendre leurs truffes. Tailler les arbres régulièrement, travailler le sol, apporter des spores au pied des chênes… Il s’agit de donner à cette activité «de loisirs» une dimension professionnelle, avec un mantra : la défense de la truffe d’Aquitaine. La marque Aléna qu’il a créée distribue 3 tonnes et demie de truffes noires du Périgord par an dans le monde entier, et 5 tonnes d’ici 2025, grâce à la production des 130 ha qu’il exploite avec ses partenaires trufficulteurs. De nombreux chefs 2 et 3 étoiles français soutiennent la démarche de traçabilité d’Aléna (en référence à Aliénor d’Aquitaine), et la création de la formule « Adopter un chêne truffier » permet de communiquer sur ce champignon « trop mystérieux à notre goût » (dixit Guillaume Gé).

Truffe-alena.com

SIGNORI TARTUFI, L’ÉPICERIE FINE

La boutique Signori Tartufi appartient au seul réseau qui commercialise de la truffe tout au long de l’année. En pleine saison, c’est d’abord la truffe noire du Périgord dans toute sa fraîcheur. Et en dehors de la période d’hiver, l’enseigne revendique de présenter dans ses magasins les truffes d’été, d’Alba ou blanches sous les formes les plus diverses. Crème de truffe d’été, délice de cèpes et truffe blanche, huile d’olive à la truffe noire, sels, (et même bière!), voilà une boutique surtout truffée de tentations !

22 rue des Remparts, Bordeaux

Signorinitarufi.com

À LA TABLE DE MONTAIGNE,
UN MENU D’EXCEPTION

Ce n’est pas un exercice obligatoire. Mais toute table à ambition gastronomique qui se respecte ne peut échapper au menu « autour de la truffe ». Quand vient le temps des cache-nez et des sous-bois humides arrive aussi celui des cartes de restaurant où la truffe tient audience. Sur la carte de la Table de Montaigne, le chef Younesse Bouakkaoui affirme qu’elle est le point de départ de son menu truffe. Pas une pièce rapportée. Pour l’élaborer, le raccourci truffe-chocolat s’imposera au dessert. Mais le chef construit à petits pas les plats qui y conduiront. Foie gras, coquilles Saint-Jacques, gibier, et l’œuf en clin d’œil d’ouverture. La brouillade d’œuf éclairera donc le chemin, quelques lamelles, des mouillettes, et c’est le bonheur ! Ensuite vient le foie gras, servi tiède, presque cru, relevé d’une crème double très réduite, une vraie caresse en bouche. La truffe, encore elle, va se confronter à la Saint-Jacques qui lui succède dans un terre-mer amoureux avec la sucrosité du potimarron pour apporter douceur et équilibre. Le cerf «grand veneur» appartient au répertoire de la grande cuisine française. Le cuisinier l’exécute avec dévotion, truffe et gelée de groseille main dans la main dans un cortège de cèpes et de girolles. Un fromage travaillé (à la truffe), ici un camembert jeune, complète l’équipage, avant le pêché de gourmandise où biscuit croustillant, chocolat, crème à la fève Tonka et truffe noire s’associent dans un final parfait. 150€ Menu en 6 services.

Visiter le site de La Table de Montaigne