ART & ARCHITECTURE DANS LE VIGNOBLE

Si l’on considère le vin comme « l’expression artistique suprême » (dixit l’historien bordelais Robert Coustet), on ne s’étonnera pas que le baron Philippe de Rothschild fut à l’origine (1945) des étiquettes d’artistes, pour une célébration par l’art de sa forme supérieure. Depuis, art et architecture contemporains sont partout dans le vignoble, des façades des châteaux à leurs chais. Par José Ruiz

ARCHITECTURE CONTEMPORAINE

À la fin de la 2e guerre mondiale, Philippe de Rothschild décida, pour commémorer la victoire des Alliés, de confier à Philippe Jullian, un jeune illustrateur, la conception de l’étiquette de son millésime 1945. Une première. Ce fut pour le château Mouton Rothschild le début d’une série où se succédèrent Miro, Chagall, Dali, Picasso, et d’autres artistes, tissant ainsi, année après année, un lien solide entre le vin et les arts plastiques. Ce lien se renforcera par l’exigence apparue après l’exceptionnel millésime 1982 de vins plus amples, plus modernes. Une remise à plat du mode de production était devenue nécessaire, depuis la sélection et la vinification parcellaire, jusqu’au traitement de la vendange, toujours plus ménagée dans sa manipulation. Pour cela, il fallut plus d’espace. De nouveaux chais. En 1987, l’architecte Ricardo Bofill est appelé par Eric de Rothschild, pour l’élaboration d’un nouveau chai au château Lafite Rothschild obéissant à 3 critères : cuvaison parcellaire, ergonomie, esthétique. Ce sera un chai de forme octogonale, avec des colonnes disposées en cercle, une coupole apportant la lumière, et les quelques 2000 barriques ordonnées de façon concentrique. La mise en scène est calculée, permettant de surcroît des conditions de production optimales par l’économie de déplacements qu’elle génère. Ce chai souterrain constitue une performance pour Bofill, et il fera école. Dans le sillage de Lafite, de nombreux châteaux voudront eux aussi un chai remarquable réalisé par un architecte de renom. Ainsi du château Montrose, qui connaît une rénovation totale du chai dès 2010, dirigé par l’architecte Bernard Mazières. Cette salle capitulaire, comme l’ensemble du bâtiment, conserve l’élégance XVIIIe que l’on observe dès l’entrée. Le chai est discret, enterré, avec des colonnes sculptées qui couvrent 1000m2 de granit noir. Associé à Jean- Pierre Erath, Mazières est sollicité pour faire évoluer Petrus (chai, cuvier) avec les mêmes matériaux (bois, acier) qu’il utilisera pour son association avec Richard Peduzzi (scénographe à l’Opéra de Paris) dans l’élaboration du nouveau chai de Mouton Rothschild. Citons le travail de Jean-Michel Wilmotte qui dote le château Pédesclaux d’un chai révolutionnaire avec une mezzanine au plancher d’acier d’où les cuves semblent porter le bâtiment comme des colonnes. Christian de Portzamparc, lui, dote Cheval Blanc d’un chai sous la colline qui paraît porter des voiles de béton blanc. Et c’est au château Faugères que Mario Botta réalisa son premier chai en France, à 8 mètres sous terre. Il installe ensuite la salle de dégustation au dernier étage de la tour de 16 m qui domine le bâtiment avec ses fentes sur les façades latérales permettant l’éclairage naturel. Au château La Dominique, Jean Nouvel voit rouge, la couleur choisie pour le nouveau chai. Cette extension est couverte de lames de métal laquées de rouge, tandis que le cuvier, très lumineux, aligne, comme à la parade, 22 cuves d’inox tronçonnées. « J’ai voulu créer(…) en partant de certaines couleurs du vin de Bordeaux » expliquera-t-il.

ART CONTEMPORAIN

L’art contemporain a investi le vignoble depuis de longues années. Aucune appellation n’y échappe, et au château Chasse-Spleen, la paire de Bottes de Lilian Bourgeat dans le jardin marque l’engagement de la propriété. Suivront des sculptures signées d’artistes émergents, et dans le chai une œuvre de Felice Vanni. En 2017 les propriétaires, décident de transformer la chartreuse 18e en espace d’exposition, puis centre d’art. Les 330 m2 sont restaurés par les architectes bordelaises Céline Pétreau et Oriane Deville, dans un style moderne sobre. Chaque année, de mai à septembre, une exposition y est présentée. Ainsi, jusqu’à l’automne, « Il y a encore de la lumière à Chasse-Spleen » est celle consacrée à Dan Flavin avec 8 œuvres du plasticien. Rive gauche encore, le château Les Carmes Haut- Brion convoque dès 2016 l’architecte Luc Arsène-Henry et le designer Philippe Starck pour la réalisation d’un chai futuriste aux allures de coque de bateau. Puis il est décidé d’enraciner l’art sur la propriété, et chaque année, de confier une cuve à l’expression d’un artiste confirmé. Ainsi, la dernière cuve (n° 15, millésime 2023) porte une œuvre intitulée « Les Carmes enluminés », marquée par l’influence des vitraux sur le travail de Jérôme Rasto, son créateur. L’identité du château d’Arsac repose, elle, sur la présence de l’art contemporain partout, des vignes aux chais, présence voulue par le grand amateur que fut Philippe Raoux, son propriétaire, décédé en octobre 2023. Précurseur avec la création de la Winery (fermée depuis), il a acheté une œuvre d’art chaque année, approchant les 40 pièces à ce jour. Au hasard d’une flânerie, on croise le travail de Claude Vialat sur les fonds de barriques, une structure de Folon dans les vignes, une sculpture de Niki de Saint Phalle, ou le bleu Klein de la façade des chais. Et tandis qu’à La Fleur de Boüard, on propose l’expérience immersive du chai de Lumières, au château de Ferrand et sa fresque en salle de dégustation entièrement réalisée au stylo à bille, vous attendent 30 œuvres d’artistes internationaux inspirés par la marque BIC. Enfin, la Forêt des Sens, au château Smith Haut- Lafitte est un parcours de land’art étourdissant.

BAD+, L’ART DE VIVRE À LA FRANÇAISE

Bad+, qui se tiendra du 31 mai au 2 juin, est un salon international qui exalte l’art, le design et l’art de vivre en invitant de nombreuses galeries locales, nationales et internationales à présenter les travail d’artistes reconnus ou émergeants. Une programmation ambitieuse qui investira tout le territoire et mettra en lumière les liens entre art, design et art de vivre. Comme les années passées, en miroir de « l’art dans la ville » qui propose un parcours dans des lieux tels que musées, galeries, hôtel partenaires…, un large partenariat avec de nombreux domaines viticoles s’engage à porter l’art dans les vignes avec la proposition « l’art dans le vignoble ». Le Château Fleur de Lisse présentera ainsi une exposition de nouvelles œuvres de Barthélémy Toguo empreintes de la notion d’exil. Au Château Smith Haut Lafitte, ce sont 2 visites autour de la collection du château qui vous sont proposées : un parcours Land’Art entre vignes et forêt qui éveillera vos sens, et un parcours « sculptures monumentales » au cœur des vignes et des chais avec la présentation de 3 nouvelles œuvres. Chasse-Spleen ou d’Arsac présenteront également leurs collections.

BAD-bordeaux.com