LE GOÛT DU PAIN

Aliment de base de nombreuses cultures, le pain est présent dans l’alimentation humaine depuis plus de
10000 ans. Il ne suffit que de farine, d’eau, de sel et de levure, d’une main pour pétrir et d’un four pour le cuire. Après l’ère du pain industriel, de la baguette blanche et insipide, des farines indigestes, les boulangers ont regagné le fournil. C’est enfin le retour des farines anciennes, du temps long, de la main de l’artisan qui pétrit, des cuissons « caramélisées » et le renouveau du bon goût du pain.

par José Ruiz

MANUEL DAGENS,
BOULANGER À GENSAC

Jusqu’en 2018, Manuel Dagens était restaurateur. Avec son associé Adrien Bocquet, ils ont tenu de 2013 à 2018 les restaurants Belle Campagne et Les Cadets à Bordeaux. Pionniers du locavorisme, les deux établissements ont changé de main quand les deux garçons réalisèrent qu’ils en avaient assez, et que leur doux rêve d’ « atteindre tout le monde » ne pouvait se matérialiser, car « aller au restaurant, ça a un prix. » Mais le pain, au moins, tout le monde y a à peu près accès. C’est ainsi que Manu décida de passer le CAP de boulanger, comme pour donner davantage de sens à sa vie. Avec Alice, sa compagne, ils rachètent une ferme à Gensac, grâce à un financement participatif avec le fond Mimosa : en 13h, 30 000€ seront levés. En décembre 2022, c’est l’ouverture de la Ferme du Pigeonnier. Rapidement, la boulangerie devient un lieu de vie dans ce village sans bistrot. Le dimanche matin, c’est la queue devant la porte. Manu fait son pain au feu de bois, et en attendant l’installation du four qu’il vient d’acheter (6000€), il cuit chez le boulanger de Sainte Radegonde, le village voisin. Pétrir à la main, laisser fermenter la pâte, et la façonner en 3 ou 4 heures, voilà comment il travaille. «En direct », comme on dit. « Travailler avec l’hygrométrie naturelle, et la température naturelle, sans chambre de pousse, c’est ça le métier de boulanger. C’est s’adapter et ne pas se reposer sur des machines, et sur l’énergie électrique. Notre but est d’être le plus indépendant possible. En cas de coupure d’électricité, comme nous avons eu récemment, je peux toujours pétrir à la main et cuire au feu de bois. Il me faut juste de l’eau, de la farine et du sel. Mon but, c’est de faire du bon pain au levain qui se conserve. Nous voulons parler à tous par le goût et la simplicité. Quand nous étions restaurateurs, nous avions senti que nous ne faisions pas comme tout le monde. On nous traitait d’idéalistes, avec nos idées de local et de juste prix des choses. Mais ce métier, je l’ai choisi pour ça, justement ! »

La Ferme du pigeonnier
17 route de Sainte Foy la Grande
Gensac

ANTONE

Jésus de Nazareth multiplia les pains. Le boulanger Antone, lui, multiplie les récompenses pour celui qu’il fabrique au levain (meilleure baguette de Nouvelle-Aquitaine en 2021). Pareil pour ses viennoiseries (meilleure chocolatine de Bordeaux en 2016). Depuis, les recettes n’ont pas changé, un bon beurre, un travail de feuilletage pâtissier soigné au laminoir, et le tour est joué. Le feuilletage est d’ailleurs le terrain de jeu favori d’Antoine Savoyardi, le patron : il a créé un pain de seigle feuilleté dangereusement addictif.

Boulangerie Antone
– 125 rue de Laseppe
– 33 rue Furtado
Bordeaux

LE MOULIN DE PORCHÈRES

À partir de sa construction en 1847, et de sa mise en service dès 1850, le Moulin de Porchères a produit de la farine jusqu’en 2002. D’abord avec des rouets, puis avec des turbines, le moulin dont les arches enjambent l’Isle fut même la seule minoterie traditionnelle en activité entre Périgueux et Bordeaux. En 2007, devenu patrimoine industriel, il est inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Racheté par l’homme d’affaires Norbert Fradin, le moulin sera transformé en outil pédagogique. Un véritable musée vivant de la minoterie. Les cylindres métalliques qui écrasent le blé sont toujours là, visibles, et si la technique
et les matériaux modernes ont suivi les é volutions successives, les canalisations en bois ou encore les trappes à bouton de porcelaine restent des témoignages des pratiques anciennes. Depuis, l’association « Vivons avec le Moulin de Porchères », s’est constituée et s’est donnée comme objectif de partager avec les visiteurs et d’entretenir cet héritage précieux. Ainsi, le site devenu touristique a accueilli 12000 visiteurs en 2023, venus s’initier à la fabrication de la farine et du pain. C’est aussi un épisode de l’histoire de France, quand le Front Populaire garantit l’activité annuelle des moulins en attribuant à chacun une quantité de blé à écraser. Et aujourd’hui, ce sont les visiteurs qui peuvent repartir avec leur propre baguette cuite au four qu’ils auront faite de leurs propres mains dans les ateliers de fabrication de pain.

Le Moulin,
1679 Route de l’Entre-Deux-Mers,
Porcheres

AU PÉTRIN MOISSAGAIS

« 80 % des boulangers qui s’installent aujourd’hui, ce sont des reconversions. Moi, je ne suis pas un ancien ingénieur qui s’est recyclé à la crise de la quarantaine ». Serge Combarieu, 61 ans, parle d’un métier qu’il exerce
depuis l’âge de 14 ans, face au plus ancien four à bois de Bordeaux (1765) à l’enseigne du Pétrin Moissagais. De ses débuts à Sainte Foy la Grande jusqu’à son arrivée dans la pittoresque boutique du cours de la Martinique en 1999, l’artisan a toujours cuit son pain au bois. Aujourd’ui, c’est dans ce monument historique qu’il mitonne notamment le produit phare maison, le pain gascon, ce pain sur levain façonné à la main dont les grosses pièces (4 à 5 kg) se conservent 15 jours. La farine de blé français provient depuis toujours de la minoterie Bellot (13ème génération de minotiers) et 8 boulangers se relaient du mardi au samedi pour produire une tonne et demie de pain chaque fin de semaine. Et le matin, l’odeur des croissants chauds sur le trottoir devant la boutique raconte la même histoire gourmande.

Au Pétrin Moissagais
72 cours de la Martinique
Bordeaux

BASTON

Baston, un nom plutôt rock’n’roll pour un établissement décoiffant. On entre dans une boulangerie, pour réaliser qu’on est aussi dans un restaurant. Plutôt rock’n’roll, oui. Pauline Celle et Julien Borie peaufinèrent leur projet pendant les confinements, une micro boulangerie et un restaurant dans les mêmes murs. Aussitôt repérée par les vigies « foodistas », l’adresse fleurit sur les blogs et s’installe dans le paysage gastronomique bordelais. Car gastronomie il y a dans la cuisine de Julien, le chef. Et dans les pains de Pauline, la boulangère. Avec Djenane en salle, voilà l’équipe qui vous accueille derrière cette devanture jaune de la rue du Hâ. La boulangère et le chef se rejoignent dans la quête du bon, du plaisir à croquer un pain bien cuit comme à savourer une Saint-Jacques de plongée, les seules servies ici. Pauline fait son pain avec une farine issue de semences paysannes, elle travaille au toucher et à l’odeur, sans mesurer l’acidité du levain, ni la température de l’eau. « Je m’adapte à la pâte quand elle sort du pétrin, à l’instinct, ça me rend heureuse », sourit- elle. Julien travaille avec une approche analogue, en créant « les plats qu’il a envie de manger. » Comme cet oursin (breton de plongée) qui arrive sur la table adossé à une réconfortante crème de pommes de terre liée à un beurre noisette, jouant la connivence entre iode et gras. Gros faible aussi pour la truite de Banka pickles de jalapeno, et surtout les plats à saucer avec le gigot d’agneau braisé. Belle carte de vins bios et naturels.

Baston
50 rue du Hâ
Bordeaux